jeudi 11 juillet 2019

Un beau texte de Jean-Claude Guillebaud

Comme je l'ai déjà dit ici, je n'aime pas l'été, la chaleur, le soleil et la sécheresse. Mais j'ai trouvé, dans un numéro récent du magazine "La Vie" (qui arrive à Avioth), un très beau texte de Jean-Claude Guillebaud sur l'été dans sa contrée d'origine, la Charente.

L'été retrouvé (Jean-Claude Guillebaud)

A chaque retour de voyage vers ce petit pays charentais où j'ai mes pénates, c'est l'été retrouvé qui me bouleverse le plus. Les prairies sont sèches, les tilleuls sentent le miel, une fine poussière craque un peu sous la dent. Et chaque fois j'ouvre la porte de la maison avec un bonheur délicieusement apaisé. Certes, venant de loin, il m'est souvent arrivé de rentrer chez moi sous une pluie triste de février, dans un froid novembre ou même au milieu d'un bel automne à champignons. Il n'empêche ! C'est toujours des retours d'été que je me souviens, et d'eux seuls. Et pourquoi donc ?

Sans doute parce que le monde extérieur, alors, nous oublie tout à fait. Nous ne sommes pas balnéaires comme Royan ou La Rochelle, ni même touristiques. Nous n'avons ni plages ni montagnes, lacs immenses ou merveilles du monde à tarifer pour le mois d'août. Sauf quelques Anglais cramoisis, cherchant leur bonheur à bicyclette du côté de la forêt d'Horte, nulle cohorte criarde ne nous traverse à date fixe. En été, cet arrière-pays plus nettement à l'écart nous appartient, à nous seuls, avec ses foins coupés, ses rouleaux de paille alignés comme des moquettes de géants, ses chemins qui errent dans la campagne et ses chapelles romanes que plus grand monde ne visite, mais que le lierre menace.

Nos étés sont solitaires. C'est une vertu, par les temps qui courent. Ce n'est pas tout. Ils sont apaisés, alanguis même. Quelques semaines plus tôt, ce n'était pas encore tout à fait le cas. Il y avait encore l'effervescence du printemps avec toutes ces germinations qui agacent l'âme et les sens, ces fleurs profuses et ces odeurs ajoutées, cette belle agitation chlorophyllienne qui nous met littéralement sens dessus dessous. Au lieu que l'été, ici, est plutôt minéral, immobile et finalement assez austère sous cette pluie de lumière qui tombe du ciel dès huit heures.

Avec l'immobilité s'installe évidemment le silence. Et c'est peu de dire qu'il est impérieux. En août, on dirait que le pays tout entier ne parle qu'à mi-voix, et encore rarement, quand une occasion l'impose, comme à regret. Le foin rentré, la luzerne ensilée depuis longtemps, les champs redevenus vulgaires friches pour trois ou quatre semaines, les oiseaux taiseux, asphyxiés dès le matin par la chaleur, il n'y a donc plus que du pur silence à récolter dans la campagne. Et les villages eux-mêmes, un peu mauresques sous le soleil, un peu andalous pour les figuiers dans les cours de ferme et les géraniums rouge sang, sont assiégés par ce même silence. 

C'est le temps des volets tirés sur la pénombre des chambres où grésille une mouche. C'est le temps des cuisines fraîches où les chiens écroulés sur le carrelage font des rêves avec de petits jappements somnambules. C'est le temps des siestes peuplées de voyages au long cours vers le cap des Aromates ou les palais de Cibola, songes appareillés où l'on essaie parfois de courir sans trop s'étonner de cette paralysie confuse du sommeil. C'est le temps à ce point immobile où l'on oublie volontiers la date et l'heure.

Le soir, quand la Charente douce et vide glisse devant nous dans la nuit, alors voilà un mot - au singulier - enfin réinventé, un mot dont l'étymologie ne manque ni de charme ni d'une belle gravité : la Vacance. N'oubliez pas, s'il vous plaît, la majuscule. 

("La Vie", 27 juin 2019, p. 98)

2 commentaires:

  1. J'aime beaucoup le style très évocateur de ce texte.
    Merci pour ce partage.
    ¸¸.•*¨*• ☆

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  2. J'aime bien l'écriture de Jean-Claude Guillebaud. Il a notamment fait de beaux livres de voyages avec Depardon, en Ethiopie et au Vietnam.

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